À l’aube du terme de son dernier mandat, il nous a semblé opportun de faire la lumière sur les motivations qui ont animé Georges PERTUISET, et à défaut d’avoir réalisé tout ce qu’il ambitionnait pour la sommellerie, ses espoirs pour l’avenir de ce métier.
De l’homme, on ne peut nier qu’il dégage un certain charisme, même si de prime abord, il semble fermé, réservé… L’apparition du premier sourire est une invite à saisir sa personnalité profonde, alliant simplicité, modestie, probité... Pour avoir rallier la majorité trois mandats durant, il fallait indéniablement que l’image de Georges PERTUISET corresponde à ce que nous attendons tous prioritairement de la Sommellerie : l’action dans la discrétion, en concertation avec l’ensemble des membres du bureau national et des vingt responsables de région…
Comme le souligne Georges PERTUISET, l’Union de la Sommellerie Française, c’est vingt régions, rythmées chacune par la personnalité et le niveau d’investissement de leur président. En découlera avec plus ou moins de succès, suivant leur aptitude à générer l’émulation, l’adhésion du plus grand nombre de membres de la profession.
Si nous assistons au développement significatif des régions de Savoie, Bourgogne, Alsace, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Aquitaine, la région Parisienne, elle, accuse un certain repli… Or la force de toute association tient en sa propension à réunir autour de son projet, l’appui d’un maximum d’adhérents, aux compétences professionnelles avérées. Trop de sommeliers demeurent encore en dehors de l’Union de la Sommellerie Française.
L’un des rôles majeurs du Président, au sein de l’U.D.S.F., consiste à fédérer l’ensemble des régions autour de la profession de Sommelier. Pour cela, tenant compte des échanges réguliers avec leur représentant, Georges PERTUISET propose telle ou telle action, puis les soumet au vote. Selon que soient entérinées ou non des décisions, chaque président aura à cœur de les mettre en application. Il arrive, malgré un vote majoritaire, que certaines régions traînent les pieds. Cette non-cohésion ralentit les effets escomptés, voire nuit à la crédibilité de l’U.D.S.F. C’est la raison pour laquelle Georges PERTUISET caressait l’idée de réunir les vingt régions de sommelleries françaises sous une seule et même bannière, une Association unique.
Elle en aurait, de son avis, tiré le bénéfice de faire parler d’elle d’une seule voix pour négocier auprès des instances nationales concernées et ainsi d’éviter les querelles
de clochers ou de pouvoir… Ne pas y être parvenu, est l’un de ses principaux regrets.
La naissance de l’Union des Sommeliers date de 1907. Quand Georges PERTUISET, après trente années de bons et loyaux services dans la restauration, est élu à la suite du Président FRAMBOURT en 1996, l’UDSF est déjà impliquée dans de nombreux concours, elle a négocié
la création du «Concours du meilleur étudiant sommelier de France en vins et spiritueux» et envisage bientôt de lancer en toute indépendance, le «Concours de Meilleur Sommelier de France». De fait, le premier concours entièrement organisé et auto-financé par l’UDSF a lieu
à Paris, en 2000, le titre est déposé, il appartient désormais à l’Association qui réitère l’expérience en 2002 dans la région Centre, puis en Avignon en 2004… Objectif atteint, et succès pour le 8ème Art ! Le «Concours de Meilleur Ouvrier de France en sommellerie», pour lequel les lauréats se voient gratifiés de la reconnaissance de leurs pairs et de la distinction « d’excellence», a permis aussi de révéler les plus passionnés d’entre les sommeliers, jeunes et moins jeunes. Incontestablement la mise en place de ces concours a participé au renouveau de la profession, tant ils servent la promotion de la sommellerie en France et à l’étranger.
En outre, parallèlement l’UDSF s’investit dans l’élaboration et l’évolution des programmes de mention complémentaire «Sommellerie» et «Brevet Professionnel Sommelier».
Elle s’est attachée à recadrer le métier, le rôle du sommelier, les qualités et comportements inhérents, en a retranscrit les règles, puis assuré la diffusion auprès de toutes les écoles hôtelières.
L’expertise et l’expérience de ces «Compagnons de la table», façonnées de tours de France en tours du Monde, au gré des plus grandes tables, les convainquent que les usages de la sommellerie établis en France, prévalent partout ailleurs. À ce titre justement, ils renforcent leurs exigences et se montrent encore plus sévères lors des concours.
Bien au-delà du chauvinisme et de l’orgueil, force nous est de constater que l’on vient du bout du monde se former sur notre territoire. Nos us & coutumes ont contribué à la richesse de la gastronomie, les grands chefs de cuisine, les premiers, s’inspirent de l’Art culinaire français, les seconds savent que la référence mondiale du vin, c’est la France !
Pourtant la majorité des sommeliers s’accorde à dire que l’enseignement mériterait d’être plus poussé, non pas en théorie, mais en pratique. D’autant que certains professeurs n’ont jamais exercé professionnellement sur le terrain. En conséquence, une année supplémentaire pour une formation en alternance, axée prioritairement sur les modes de fonctionnement de l’hôtellerie ou de la restauration, ne serait pas du luxe…
Les jeunes qui sortent de l’école ne savent pas encore travailler. Il s’agit moins de la durée, que de la qualité de l’enseignement.
Georges PERTUISET : « Nous avons obtenu la nomination d’un conseiller de l’Enseignement Technologique, pour cette matière. L’aberration tient pour nous du fait que certains enseignants puissent instruire des domaines qu’ils n’ont jamais pratiqués ! Ce que je vais dire paraîtra pour le moins paradoxal ; cependant que nous parrainons les différents concours cités, (concourir c’est stimulant et utile aux candidats pour leur promotion) Or l’usage voudrait que l’on mette davantage l’accent sur le «Savoir être» que sur le «Savoir-faire», en intégrant les qualités fondamentales que sont la convivialité, l’amabilité, la politesse, l’honnêteté, la sobriété… À ceux qui débutent, on demandera surtout de savoir conseiller les clients au regard de ce qu’ils ont en cave, de participer à leur bien-être, d’être attentif tout au long du service, courtois, souriant… C’est plus important que d’avoir à faire à un puits de science vaniteux !»
«La sommellerie est par définition un métier empirique, qui en plus de connaissances théoriques indispensables, nécessite un instinct comportemental presque inné,
de souplesse, d’adaptabilité, et une ouverture d’esprit spécialement généreuse…»
Par vocation, plus tard, le sommelier s’intéressera à son environnement, saura mieux parler des vins, rendant ainsi hommage aux hommes qui se cachent derrière les étiquettes,
s’il a la curiosité de les rencontrer… Le meilleur vin du monde, c’est celui que l’on aime, dont on connaît l’origine, le cépage, la vinification, le vigneron ; même si ce vin à des défauts, certains sont comme les personnes, on s’y attache justement pour leurs petits défauts.
Il goûtera les plats élaborés par le chef de cuisine pour ne pas être pris au dépourvu sur des accords mets et vins, orienter le choix du consommateur, alliant prix et qualité. Ce n’est pas lui qui vend les très grands vins (chers), ce sont les clients qui les achètent.
Georges PERTUISET : «Autre aspect essentiel au cours du service, veillez impérativement à la température du vin. On a trop habitué les clients à consommer le vin blanc glacé et le vin rouge trop chambré. Au-delà du devoir de servir à bonne température, de passer en carafe les grands vins blancs jeunes pas tout à fait prêts, ou les vins rouges tanniques, réducteurs (comme les Beaujolais !, Cabernet, Bandol, Hermitage, Côtes-Rôties, Madiran…) le sommelier par ces gestes témoignera de son respect pour son client et pour ce noble produit…»
Quand tanguent nos vignobles, loin pourtant des modes et des standards… Alors que les vins n’ont jamais été aussi bons, ce n’est pas la panacée pour la viticulture française : surproduction, consommation déclinante, baisse des exportations,coûts de production en hausse…
Georges PERTUISET : « Sans vouloir être pessimiste, la conjoncture n’est pas favorable, voire catastrophique pour nombre de producteurs. La place du vin dans la société française
a évolué, ce n’est pas d’hier… La consommation décroît depuis longtemps. Cette décrue est sans doute plus significative encore aujourd’hui avec la peur du gendarme… Si bien que même les restaurants trois étoiles proposent du vin au verre ! Il est impossible de dissocier la gastronomie des grands vins. Mais plus grave encore, cette problématique nationale risque fort de nuire à l’aspect culturel du vin en France, puis lentement mais sûrement, d’en augurer la disparition. »Georges PERTUISET : «Chez nous, on ignore les Grands Vins. Le monde entier nous les envie, ils sont toujours reconnus comme étant les meilleurs ; lors de dégustation, le jeu consiste à surpasser les vins français ou du moins à les égaler en goût et en qualité. Ils n’ont pas encore été détrônés. Une exception, une manne qui risque de s’éteindre… Mais «il n’existe pire aveugle que celui qui ne veut pas voir».
Georges PERTUISET : «Nous sommes en sous-consommation de vins en France, mais étrangement ce sont les appellations mineures qui ont du mal à se vendre. Alors que le coût des Grands Vins au restaurant reste parfois dissuasif, les consommateurs ont toujours été prêts à mettre le prix pour un vin de qualité. À échéance, c’est ce qui conduira à une régulation naturelle du marché, il s’équilibrera par la force des choses, par la réduction de producteurs piètrement enclins à produire des produits de qualité…»
À cela s’ajoute l’émergence d’un nouveau genre de consommateurs, attirés par des vins étrangers produits sous des climats plus favorables à la maturité idéale du raisin, des vins doux et flatteurs immédiatement. Néanmoins un jour ou l’autre, ces consommateurs viennent vers des produits moins sucrés, leur goût s’affine pour des vins en harmonie avec la gastronomie, cela s’est toujours vérifié.
Georges PERTUISET : « On a beau faire de très bons vins de Cabernet ou de Pinot noir à l’étranger, on ne produit de Grands Bourgognes ou de Grands Bordeaux qu’en France ! Autrefois l’Oregon, la Californie, etc., considéraient ironiquement nos terroirs, aujourd’hui ils ne nient plus cette spécificité. En Bourgogne, il a fallu plus de mille ans pour déterminer ces terroirs. Dès que l’on pénètre les villages, les caractères sont différents, les plus marqués (les 1er crus et les grands crus) indéniablement sont des terroirs d’exception… Alors il est dommageable que l’on en interdise la promotion, que l’on pénalise les régions qui s’investissent pour la promotion et la défense de leurs Grands Vins, sans parler de ce que génère la viticulture comme emplois !»
L’Union, indubitablement, fait la force, autour de petits bonheurs, sans cesse réinventés… qu’il est urgent de maintenir…
Georges PERTUISET : «J’aimerais rendre hommage aux jeunes professionnels, à tous ceux d’entre eux qui oeuvrent dans l’ombre. Il y a une élite, bien sûr, parmi tous les sommeliers connus et reconnus qui ont gagné leurs galons en travaillant sans relâche, à ceux-là, je dis Bravo !
Je ne peux cependant m’empêcher d’avoir une pensée pour tous les autres, ces sommeliers qui ne bénéficient pas de la même aura, qui sont méritants, heureux dans leur emploi, passionnés sinon plus, de vrais puristes en quelque sorte et qui n’ont rien de commerciaux !
A cette majorité, et aux jeunes qui vont arriver sur le marché avec toute la fougue de leurs connaissances non encore maîtrisées, je souhaite que l’expérience leur apprenne l’humilité et la modestie. Ainsi ils incarneront la quintessence de l’Art de vivre en France, le prestige
de la gastronomie et du vin, dans le plaisir qu’ils prendront chaque fois à recréer du bonheur autour d’eux…»
Je conclurai par cette citation de Paul Claudel :
«Le vin est le symbole et le moyen de la communion sociale : la table entre tous les convives établit le même niveau, et la coupe qui y circule nous pénètre, envers nos voisins, d’indulgence, de compréhension et de sympathie.»