Du haut de ses 27 ans et pour sa première présence sur une épreuve internationale de l’ASI en tant que candidat, le professionnel allemand a bousculé tous les pronostics au terme d'un concours marqué par deux records avec 66 candidats et 63 pays représentés.
Au terme de six jours d’une rare intensité (concours, masterclass, dégustations), la 16e édition du concours ASI du Meilleur Sommelier du Monde s’est achevée par la victoire du candidat allemand, Marc Almert. Il boucle ainsi d’une incroyable manière sa première participation à une compétition de l’Association de la Sommellerie Internationale et offre à son pays un deuxième titre après celui remporté par Markus Del Monego en 1998, à Vienne.
La force de l’association allemande a sans doute été d’avoir su détecter le potentiel de ce candidat vainqueur en 2016 du Gaggenau Sommelier Award et de lui avoir permis de se préparer dans les meilleures conditions possibles. Pour s’imprégner de l’atmosphère de ces grands rendez-vous, il a donc été un spectateur attentif du concours Europe à Vienne en 2017 puis de celui d’Asie & Océanie à Kyoto en octobre 2018. « J’ai pu suivre les épreuves, rencontrer d’autres sommeliers ainsi que les membres des jurys », explique le nouveau Meilleur Sommelier du Monde. Un entraîneur dédié l’a accompagné tout au long de sa préparation. Préparation poursuivie au quotidien au sein de l’équipe du restaurant deux étoiles « Pavillon » à l’hôtel Baur au Lac, à Zurich. Le Français Aurélien Blanc, son directeur, lui-même sommelier titré en France et en Suisse, lui a alors apporté son expérience.
Mais avant de triompher sur la scène de l’Elisabeth Center d’Anvers, Marc Almert et les 65 autres candidats ont vécu au rythme d’une sélection sans véritable surprise : commentaire de dégustation par écrit, identification de boissons, questionnaire et atelier de service. Cette première étape était toutefois suffisante pour écarter des sommeliers dotés d’une solide expérience en concours. Ainsi la compétition s’est arrêtée à ce stade pour Eric Zwiebel, le Français représentant le Royaume-Uni, ou encore Fabio Masi, qui défendait une nouvelle fois les couleurs de la Suisse.
Pourtant, le comité technique avait choisi de retenir un nombre record de demi-finalistes puisque au troisième jour de l’épreuve, ils étaient encore dix-neuf à pouvoir croire au titre. Un casting où figuraient les trois vainqueurs des concours continentaux : Raimonds Tomsons (Lettonie) pour l’Europe, Pier-Alexis Soulière (Canada) pour les Amériques et Wataru Iwata (Japon) pour l’Asie & Océanie.
Quatre Français, sous différentes bannières, étaient également au rendez-vous. A commencer par David Biraud, le candidat tricolore, accompagné par Julie Dupouy (Irlande), Loïc Avril (Australie) et Antoine Lehebel (Belgique). Et puis donc il y avait tous ces nouveaux visages : la Danoise Nina Højgaard Jensen, le Serbe Vuk Vuletiç, le Lituanien Martynas Pravilonis, le Néo-Zélandais Andrea Martinisi ou encore le Suédois Fredrik Lindfors.
Marc Almert, pour qui franchir la sélection était un objectif initial, n’avait toutefois aucune certitude au moment de l’annonce des qualifiés. « En quart de finale, la partie théorique était difficile avec un questionnaire assez dur et j’ai cru que ça allait être la fin pour moi... »
Cette demi-finale fut celle des illusions perdues pour nombre des favoris. Une épreuve écrite laissait d’abord la part belle à l’expression personnelle de chaque candidat invité à disserter sur le thème « Que représente pour vous un bon sommelier ? » Pas toujours évident à gérer dans une langue étrangère.
Puis deux ateliers finissaient d’établir cette deuxième sélection. Dans le sillage de l’accord de partenariat signé avec la province viticole chinoise de Ningxia, le vin rouge proposé à la dégustation n’était autre qu’un Cabernet Franc 2014 produit en Chine. Toujours à l’aveugle, trois vins blancs, tous issus du cépage sauvignon (Sancerre du Domaine Vacheron, Perdeblokke de Klein Constantia d’Afrique du Sud et Cuvée HG du Vignoble Erich et Walter Polz d’Autriche), aux personnalités très différentes ont perturbé les candidats. Lesquels devaient ensuite (une première dans un concours) associer chaque échantillon avec une pierre représentative de son sol (silex, granit et calcaire). Une nouvelle identification de boissons et un travail d’accord mets-vins autour d’un dessert complétaient cette première étape.
La suivante se déroulait en deux temps. Le service, avec le carafage demandé de deux bouteilles de vin blanc dont l’une n’était pas à la bonne température, constituait un vrai juge de paix. Suivait un exercice autour de la communication et de la promotion des vins de Géorgie auprès des sommeliers belges qui offrait une certaine liberté aux candidats.
L’annonce des trois finalistes sur la vaste scène et devant plusieurs centaines de spectateurs ressemblait à un jeu de massacre. Les principaux favoris étaient un à un invités à aller prendre place parmi le public non sans avoir, auparavant, reçu le diplôme attestant de leur participation en demi-finale des mains du président de l’ASI, Andrés Rosberg.
David Biraud puis Julie Dupouy, médaillés d’argent et de bronze trois ans plus tôt à Mendoza, étaient de ceux-là... Finalement, seul Raimonds Tomsons avait su éviter les écueils précédents et récolter assez de points pour rêver pendant quelques minutes encore d’un doublé (Europe-Monde) comme l’ont réussi récemment Paolo Basso et Arvid Rosengren.
Première en scène, Nina Højgaard Jensen n’a pas été trop perturbée par un incident technique lié au micro qui permettait à l’assistance ainsi qu’aux milliers de personnes suivant l’épreuve en streaming à travers le monde de ne rien perdre de ses commentaires et explications. Favori logique au regard de son expérience, le Meilleur Sommelier d’Europe a sans doute été victime de la tension dès le premier atelier (service d’apéritif et notamment tirage d’une bière) qu’il ne pouvait mener à son terme. Suffisant pour lui faire perdre le fil de l’épreuve et l’obliger à se contenter de la médaille de bronze.
Ce sang-froid nécessaire, Marc Almert l’a conservé de bout en bout, ajoutant humour et qualités relationnelles avec les « clients » chargés de le juger. « Quand j’ai compris que j’étais en finale, je me suis dit « tu n’as rien à perdre, ça va être un grand plaisir ! ». J’ai eu de la chance, à l’inverse de beaucoup de candidats dont on parlait comme des favoris, car moi, personne ne m’a regardé. On m’a laissé tranquille et cela a été un grand avantage... »
Jean Bernard
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David Biraud et Eric Zwiebel ont pour point commun d’avoir tous les deux représenté la sommellerie française lors des concours internationaux organisés depuis 2006. L’Alsacien est monté sur le podium de deux concours européens en 2006 et 2008 et sur le podium mondial en 2007 à Rhodes. Recalé lors de la sélection pour le mondial 2010, il a ensuite porté les couleurs du Royaume-Uni, son pays d’adoption sans parvenir à se hisser en finale.
A partir de 2010, le Vendéen David Biraud a dominé les sélections nationales obtenant le bronze au mondial à Santiago du Chili puis l’argent à Mendoza. A son palmarès également l’argent européen à deux reprises (Strasbourg et San Remo) et le bronze à Vienne.
Tous deux ont également un autre point commun, ils ont décidé de tourner la page des concours. Un choix dicté par sa contre-performance, il n’a fini qu’à la 39e place, pour Eric Zwiebel. Un choix mûrement réfléchi et annoncé bien avant le concours pour David Biraud.
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Avec un nombre record de participants, ce concours du Meilleur Sommelier du Monde qui retrouvait le plat pays pour la troisième fois a bénéficié d’une organisation sans faille de la part de la Gilde des sommeliers de Belgique. Toutefois, compte tenu de la politique de développement de l’ASI et du poids budgétaire que représente un tel événement, la question de l’évolution de l’épreuve va inéluctablement se poser.
Envisager une première sélection continentale serait une piste à l’étude afin de n’accueillir en phase finale que le “gratin” des candidats...
Autre dossier inévitablement posé, celui de la succession de Gérard Basset à la direction du concours. Si le comité technique s’est étoffé avec l’intégration d’Arvid Rosengren et d’Olivier Poussier et une prise de responsabilités plus marquée de la part de Markus del Monego et Andreas Larsson, cette équipe aura besoin dès les prochaines semaines d’un leader donnant les orientations futures. Car dès le mois de novembre 2020 (du 17 au 20), tout le monde sera de retour sur le pont à Chypre qui accueillera le concours Europe.
Jean Bernard