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Un millésime 2023 sans recette préétablie

04/06/2024

Dégustation du Grand Cercle au Château La Dauphine.

On a eu une fin de printemps très humide, ce qui fait dire à Benjamin Massié de Derenoncourt Consultants, qu’il s’agit d’un millésime « ultra-trail », aussi bien pour les bio que pour les conventionnels, avec des cadences de traitements assez similaires.

On distinguera, bien souvent, dans ce millésime d’esthètes les acteurs et actrices qui ont respecté la matière, à l’extraction comme à l’élevage. Les équilibres, somme toute assez fragiles, demanderont des doigts de fée. À l’image des 2014 ou 2016, le 2023 se présente comme une éponge à terroir. On peut encore une fois parler (sans crainte) d’un millésime de vignerons ! En gros, il s’agit d’un millésime qui a demandé une grande adaptation, de la flexibilité, et bien souvent la remise en cause des pratiques, mais également une vraie approche parcellaire adaptée. On constate bien entendu une certaine hétérogénéité sur l’ensemble du territoire, entre les pertes liées au mildiou et le gel affectant essentiellement les merlots et engendrant des assemblages parfois atypiques pour, au final, un millésime très intéressant pour sa fraîcheur. On peut parler d’un millésime de cabernets et plus particulièrement de cabernet sauvignon sur la rive gauche. Il n’est pas exagéré de dire qu’en 2023, tout s’est joué à la vigne avec, en particulier, la nécessité de porter une attention particulière aux sols dès le mois d’août. Toute une réflexion autour des couverts végétaux qu’il fallait mener dès le mois de juin.

Les blancs offrent des équilibres parfaits. Les vins sont élégants et digestes avec des teneurs en alcool modérés. Les sauvignons blancs ont été ramassés précocement la dernière semaine d’août. Ils convoquent des fruits jaunes, des fruits exotiques et sont souvent dénués de leur caractère végétal. Les sémillons, habituellement ramassés, plus tard ont échappé aux pluies de mi-septembre. Ils apportent du gras à l’ensemble. Cela donne au final des vins aromatiques, complexes et joliment explosifs.
 

Dégustation UGCB au Château La Lagune.

Les rouges se présentent sous des atours plus fins qu’opulents. Les raisins, aux profils dissemblables et complémentaires, ont ainsi pu être récoltés parfaitement mûrs pendant une période de vendanges particulièrement étendue. Il faudra se montrer très attentifs à la qualité des tanins pour ne pas trop extraire et conserver le soyeux et la rondeur des débuts de fermentation. On découvre donc des vins tout en finesse, plus classiques mais d’une jolie profondeur. Ils sont globalement construits sur une trame de tanins fins et mûrs. Les rouges se montrent globalement concentrés avec des niveaux d’alcool modérés. 2023 révèlera encore une fois les grands terroirs, avec une prime aux cabernets mûrs.

 

Bordeaux, Bordeaux Supérieur

On retiendra dans un millésime qui demanda un peu de retenue le Château L’Isle Fort Cuvée Précieuse en Bordeaux. Le vin est tonique avec une acidité en pointillés et un très joli toasté. La bouche se révèle fraîche, presqu’acidulée. Le vénérable Château Penin, Bordeaux Supérieur, sort son épingle du jeu avec un toucher de bouche soyeux. Le jus est vif et déjà très séduisant, avec des notes évoquant la griotte. En Bordeaux blanc, on a pu s’arrêter derechef sur Château Penin qui se distingue par des sauvignons mûrs et de très beaux amers. Belle expression d’un terroir et d’un savoir-faire. Château Bellevue est la belle surprise en Bordeaux blanc, avec son nez délicat d’œillet et sa bouche mûre et suave.

 

RIVE GAUCHE

Graves

Pour le rouge du Château Haut-Selve les Lesgourgues se sont appliqués à laisser s’exprimer le potentiel fraîcheur de ce millésime. Ici le végétal est racé et donne une belle fraîcheur à la bouche. Sur les plus belles croupes de graves, Château Ferrande s’établit comme un incontournable de l’AOP. L’expression du merlot est ici parfaite : racée et fraîche avec en finale une once d’épices douces et de réglisse. Pour le Ferrande, en Graves blanc, Julien Belle d’Oenoteam, a composé une partition beaucoup moins extraite, plus fluide et sapide avec un fruit bien en place. C’est tendu et mûr.

 

Pessac-Léognan

Le Cru Classé des Graves, Château Malartic-Lagravière présente, en rouge, un nez marqué par un joli cabernet sauvignon. La bouche, équilibrée et finement tannique, est moins puissante que gracile. Château Latour-Martillac, Cru Classé des Graves en blanc, joue dans un registre tout en douceur. C’est joliment exotique avec une bouche concentrée autour de notes d’agrumes et de fruits confits.

 

Médoc

Un parcellaire très affiné et des vinifications intégrales apportent beaucoup de densité et de crémeux au Château Loudenne. Les cabernets sont mûrs et fondants. Château Tour Séran se distingue par une trame plus effilée que large et la présence de fruits noirs et rouges d’une juteuse acidité.

 

Haut-Médoc

On retiendra la partition tout en précision et délicatesse du Château de Malleret, Cru Bourgeois Exceptionnel, accompagné depuis 2014 par Derenoncourt Consultants. Le château fiché dans un magnifique écrin arboricole offre des tanins fondants et déjà très intégrés. C’est salin. Château Charmail, Cru Bourgeois Exceptionnel, constitue une jolie surprise avec un jus déjà gourmand dans une gangue de bois non enserrant. On ne passera pas à côté du Château Malescasse, Cru Bourgeois Exceptionnel, aux notes suggérant la cannelle et la rose poudrée. Si la bouche est, à ce stade encore un peu austère, elle révèle déjà un joli cœur de fruit.

 

Margaux

Château Marquis de Terme, Grand Cru Classé en 1855, sous la férule technique de Ludovic David, propose de nous arrêter au nez sur des notes légèrement fumées. La bouche est gracile, tout en fruits rouges et expressions d’amande douce. Le Château Cantenac Brown, Grand Cru Classé en 1855, se présente tout en suavité aérienne. Si le nez convoque la cerise mûre, la bouche s’avère ronde et sensuelle.
 

Dégustation Château Ducru-Beaucaillou.

Pauillac

Château Grand Puy-Ducasse emporte la mise avec au nez un jus concentré et élégant et en bouche les saveurs de fruits rouges croquants. De la belle ouvrage. D’abord tout en puissance retenue Château Latour se distingue par la progression des arômes de fruits rouges, de denses à très denses. C’est rectiligne et d’une netteté époustouflante.

 

Saint-Estèphe, Saint-Julien

Château La Tour de Pez, s’il reste encore un peu marqué par l’élevage avec un toast diffus, se montre en bouche terriblement dynamique et frais. La texture est soyeuse, portée par de jolis tanins. Château La Haye, dans un tout autre registre, se montre aérien et floral (fleur blanche et pétale de rose) avec une bouche serrée et vive. La bouche du Château Ducru-Beaucaillou, Grand Cru Classé en 1855, est gourmande et les équilibres sont réussis entre tanins fermes et croquant des cabernets.

 


RIVE DROITE

Le millésime 2023 par Axel Pradel de Lavaux du Château Bellevue,
Saint-Emilion Grand Cru Classé

2023 est le millésime de l’adaptation : flexibilité, efficacité et remise en cause des pratiques à la vigne comme au chai. Au mois de janvier, quelques jours de chaleur font bien peur, mais le vignoble est finalement prêt pour un nouvel éveil dans les temps attendus. La vigne débourre dans les derniers jours du mois de mars. Les réserves hydriques sont bonnes, le froid de l’hiver est passé. Les gelées printanières résonnent comme d’un coup de semonce les 4 et 5 avril, qui font davantage de peur que de mal. 2023 ne sera pas affecté par le gel. Très vite le véritable ennemi est identifié. Il se régale des journées tropicales. Les pluies incessantes sont ponctuées d’embellies, de soleil et de chaleur qui ravissent le développement du mildiou. Le printemps a donné un état physiologique vigoureux et une charge en récolte importante. Le mois de juin a connu de fortes pluies, laissant redouter le développement du mildiou. La pression perdurera tout au long de la croissance végétative. Les réserves utiles sont conséquentes mi-juillet et la véraison s’enclenche de manière très précoce à la moitié du mois. Le stress hydrique tarde à s’installer et fait durer cet épisode dans le temps. Cela implique déjà une hétérogénéité de maturité qu’il nous faut prendre en compte à l’heure de la récolte. En résumé, juillet a connu très peu de pluie et n’a pas subi les chaleurs excessives de l’été 2022. La véraison s’est parfaitement déroulée en août avec une grande chaleur et les 25 mm de pluie du 15 août ont été salutaires dans le vignoble. La 1ère semaine de septembre a été marquée par des très fortes chaleurs qui ont favorisé une maturation de l’ensemble des baies. Ces dernières se sont poursuivies pendant toute la durée du mois pour permettre de récolter une vendange à la carte, au gré des nombreuses dégustations des baies de raisins dans les rangs de vigne. Pour les vignerons qui ont su trouver la réponse à la pression mildiou, le millésime 2023 a été généreux et gourmand. Le fameux été indien bordelais était au rendez-vous favorisant une maturité optimale des raisins et de bonnes conditions de récolte. Autrement dit, tous les paramètres étaient réunis pour élaborer des vins identitaires et remarquables à bien des égards (fraîcheur, équilibre et complexité).
 

Dégustation au Dôme.

Saint-émilion, Montagne-Saint-émilion

On ne passera pas sous silence Château Bellevue en Saint-Emilion Grand Cru, 100 % merlot. Le nez est élégant et floral. On retrouve en bouche un peu de violette saupoudrée de craie. Le milieu de bouche est juteux et cristallin. L’expression d’un terroir de beaux calcaire et d’une approche parcellaire minutieuse. Château Montlabert, Grand Cru Classé de Saint-Emilion, offre un nez d’une belle suavité et un boisé juste et précis. La bouche, encore un peu fermentaire, est juteuse et étirée. Une belle réussite. Château La Marzelle, Saint-Emilion Grand Cru, possède un beau jus dense, sanguin et vif. C’est finement équilibré et juteux. On a été très séduit par le jus séveux et sous tendu par une belle trame tanique du Simon Blanchard, Au Champ de la Fenêtre en Montagne Saint-Emilion. C’est racinaire et marqué par les herbes aromatiques. Dans la même AOP, nous retiendrons le vin plein de fringance du Vieux Château Palon. Les fruits frais s’imposent en bouche en dépit de tanins un peu serrés. Un bois et des élevages justes et porteurs.

Le Château Mazerat, en Saint-Emilion Grand Cru, est marqué en bouche par une prise de bois encore assez ferme mais le second vin de Dôme possède une belle énergie autour de fruits noirs bien mûrs. N’a pas à rougir de son grand frère.

Le nez du Château Croix de Labrie, Saint-Emilion Grand Cru, est presque maritime. La matière est longiligne et tout en puissance contenue. Les tanins sont finement intégrés. La finale est digeste et saline.

 

Pomerol

Le Château Mazeyres séduit par la pureté de la chair d’un myriade de fruits noirs. Les élevages précis confèrent beaucoup de subtilité et de gourmandise à ce grand Pomerol. Clos Vieux Taillefer s’impose autour de notes évanescentes de pétale de rose et de pivoine. La finale encore un peu « raide » laisse tout de même poindre de jolies notes d’écorce et feuilles séchées.

 

Castillon Côtes de Bordeaux

Château La Croix-Lartigue est un remarquable représentant des plateaux calcaires de Castillon. Fleurs et essences de fleurs vous cueillent au nez et la bouche, pas en reste, étonne par sa complexité. Des épices et du piment énergisent le jus. On ne présente plus Clos Puy Arnaud avec son nez de rafle fraîche et de fruit. Le jus finement texturé se révèle éclatant et savoureux en bouche, autour de la griotte. Un vin plein de gaité.
 

Dégustation La Grappe au Chateau de Malleret.

Fronsac

On aime l’élégance du Château La Dauphine avec ces notes subtiles de violette. Si le fruit est encore un peu contenu, on apprécie la clarté des arômes et la densité du milieu de bouche. Château Dalem, dans un registre un peu plus végétal, s’inscrit dans un registre sans esbroufe où le cœur de fruit vient délicatement rehausser la finale.
 

Dégustation Oenolab chez Hubert de Boüard.

Graves de Vayres

On ne peut passer à côté de Château Toulouse, fine fleur de la petite appellation Graves de Vayres. Le nez est floral et enveloppant, avec des notes de violette. La bouche saline et nette possède des tanins particulièrement bien intégrés. Le Grand Vin du Château Lesparre affiche au nez des notes lactées d’élevage d’où émergent de belles fragrances de fruits noirs et de frondaison. La bouche (à peine fermentaire) invite à une déambulation en sous-bois. Joli jus.

 

Côtes de Bourg

Château de Grissac est une belle nouveauté du catalogue Derenoncourt Consultant. On est en présence d’un vin de lieu et de calcaire. En bouche des fruits noirs enrobant s’imposent tout d’abord avant l’arrivée de notes florales et épicées, entre violette et pétale de rose. Château Mondésir Gazin offre un nez presque sudiste avec cette once de notes végétales stimulantes. Des expressions florales et épicés sillonnent et énergisent la bouche.

Texte et photos : Henry Clemens