Monde Tunisie
Certainement pas lorsque l’on sait que, longtemps après les Carthaginois, premiers vignerons du pays, les Français firent de la Tunisie une des grandes puissances viticoles, juste après l’Algérie et le Maroc, avec une force de frappe de 7 appellations d’origine contrôlée qui figurent encore en bonne place sur les étiquettes.
À l’époque du « Protectorat », entre les 19ème et 20ème siècles, le phylloxera fait des ravages en France. Tandis que les vignobles septentrionaux sont peu à peu rongés par le vilain puceron, les colons du Maghreb sont les premiers à s’enrichir, après les viticulteurs du Languedoc. Ils font parvenir leurs vins au port de Sète pour le plus grand bonheur des nombreux consommateurs Français et des négociants du Midi qui continueront pendant plusieurs années à profiter de ces vins dits « médecins » pour mieux arrondir les angles (degrés et couleurs) de la plupart de nos vins hexagonaux. Mais il fallait aussi abreuver une population locale composée pour partie de vrais buveurs de vins, tels les militaires, les fonctionnaires de la Coloniale, sans oublier les colons ouvriers et agriculteurs Français et Italiens pour la grosse majorité. Entre 1936 et 1947, dans la région du Cap Bon, qui rassemble 80 % du vignoble Tunisien, mais aussi Algérie et au Maroc, les vignes sont à leur tour touchées par le phylloxera. Face à la crise, les viticulteurs se rassemblent en coopératives, tentent de redresser le vignoble et dessinent les contours d’appellations contrôlées. C’est ainsi que naît, peu après la guerre, une union de coopératives devenue Les Vignerons de Carthage. Aujourd’hui, 60 ans après leur naissance, plus de 50 ans après l’Indépendance et plus de 40 ans après la nationalisation des terres de colonisation suivie par un abandon progressif des vignes, les Vignerons de Carthage, connus aussi sous le nom d’Union Centrale des Coopératives Viticoles, ont redressé la barre. L’Union regroupe toujours 10 caves dont 6 sont aptes à pouvoir assurer une vinification moderne, c’est-à-dire certifiée sûre.
Le vignoble Tunisien est encore modeste : il couvre environ 15.000 ha. Sur les 30 millions de bouteilles de vins Tunisiens, plus de 20 millions sortent des caves des Vignerons de Carthage. «Environ 70 % de notre production est absorbé par le marché intérieur», fait remarquer Belgacem D’Khili, œnologue diplômé de Bordeaux, confortablement installé dans son bureau de Tunis d’où il suit la production de ses 1.500 viticulteurs répartis sur 9.000 ha. «Car n’allez pas croire que ce sont nos millions de touristes qui consomment nos vins. Cette industrie n’intervient que pour un quart de nos ventes».
Aux yeux du dynamique Directeur Général de l’UCCV, le vin fait partie intégrante de la culture tunisienne. Certes, à 98% musulmans, les Tunisiens ne s’en vantent pas, mais en bons Méditerranéens, ils sont amateurs de vins. Et même de bons vins. «Nous avons gardé les grenaches noirs et les carignans les plus anciens», renchérit celui qui a œuvré depuis plusieurs années pour la mise à niveau des caves dont la propreté et l’équipement pourraient servir de modèle à bien de nos coopératives européennes. «Mais on a aussi fait de gros efforts en plantant, avec l’aide d’investisseurs nationaux et étrangers, des cépages plus actuels comme le Chardonnay, la Syrah, le Pinot noir, le Cabernet sauvignon ou le merlot. Depuis le début, notre objectif a été le zéro vrac, véritable frein à l’expansion de notre viticulture. Aujourd’hui, nous ne perdons plus d’argent. Au contraire, on commence à en gagner. Et nos exportations, vers la France et l’Allemagne, surtout, ne cessent de croître».
Parmi la vingtaine de vins issus des Vignerons de Carthage goûtés (un peu vite) sur place, on peut saluer la belle qualité d’au moins la moitié. C’est le cas de l’excellent effervescent (méthode champenoise à base de chardonnay) élaboré dans une cave souterraine à la Fontaine aux Mille Amphores, au-dessus de Carthage, dont la sortie et le nom sont encore secrets d’État ! Il s’agit d’un vin fin, vif, équilibré, marqué par un joli fruit et un beau relief. Bu toute une soirée, il n’a laissé aucun mauvais souvenir le lendemain ! Le Muscat « Passum de Magon » 2007 (un VDN capsulé à vis) est de toute beauté : élégance, longueur, fraîcheur et distinction. Son grand frère, le Muscat sec de Kélibia 2006, à ranger au rang des grandes spécialités du Cap Bon, est classé «premier cru». Ce muscat d’Alexandrie, tiré à près de 200.000 bouteilles, est copieux en bouche, plutôt bien droit et bien équilibré avec de fines notes de cédrat. Le Mornag blanc 2007 Domaine de Clipea (Chardonnay, 4 € chez Carrefour, 200.000 bouteilles) est franc, simple et direct en bouche. Quant au Mornag 2001 «Vieux Magon» (70 % vieux Carignan, le reste en Syrah), son nez évoque la garrigue et il possède des tannins fins sur un fond classique de fruits rouges. À noter au passage que Mornag, qui se décline aussi en rosé, est la plus grande appellation vineuse du pays, avec 6.000 ha. La plupart de ces vins sont diffusés en France par la société Laplace à Villeneuve-Saint-Georges (Tél. 01 43 82 11 20). Il faudra surveiller plus particulièrement les nouveaux vins du Domaine Reine d’Elissa, du nom de la fondatrice phénicienne de Carthage. Originaire de Valence, en Espagne, formée à Montpellier, l’œnologue Pilar Rodrigo suit avec passion ce domaine magnifique promis à un bel avenir. En attendant, Belgacem D’Khili entend faire de la France son fleuron à l’export. « Pour l’instant, nous commercialisons 80.000 bouteilles. Notre objectif est d’atteindre d’ici peu le demi million » !
Vu ce que l’homme a réussi à faire chez lui, on ne peut que le croire.
La Tunisie reprend sa place dans l’Ancien Monde.