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Intemporelle Bourgogne

07/12
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Intemporelle Bourgogne

La Paulée de San Francisco 2012

Jean-Marie Fourrier, Eric Asimov et Etienne de Montille en pleine préparation

pour la conférence.

Importateur et directeur des achats de vins pour les restaurants de Daniel Boulud, Daniel Johnnes, amoureux fou des vins de Bourgogne depuis près de 30 ans,

a eu l’idée de recréer la Paulée de Meursault aux Etats-Unis.

La Paulée est un banquet traditionnel réunissant vignerons et amateurs de vins pour fêter la fin des vendanges chaque année en novembre à Meursault. La coutume est que chacun y apporte quelques bouteilles afin de les partager avec ses voisins de table. Daniel Johnnes a décidé de transposer ce bel événement à New-York en février 2000. Il convie alors quelques amis vignerons comme René Lafon (Comtes Lafon), Jacques Seysses (Dujac), Patrick Bize (Simon Bize) ou Jean-Pierre de Smet (Domaine de l’Arlot) pour cette première Paulée qui réunit 175 amateurs de vins. La manifestation prendra vite de l’ampleur, aujourd’hui elle a lieu chaque année en alternance à New-York et à San Francisco. En 2012, elle a réuni 600 personnes en Californie pour le Grand Tasting et 340 pour le dîner de Gala où près de 1.200 bouteilles ont été ouvertes! Mais au-delà de l’esprit de fête et de partage, cette manifestation réunit aussi les plus grands connaisseurs de la Bourgogne qui animent des conférences-dégustations de haut vol.

Une expertise internationale
au service des terroirs bourguignons

En 2011, Jasper Morris, écrivain et Master of Wine, décryptait les terroirs en compagnie de l’excellent spécialiste Peter Wasserman qui assure le suivi des clients américains pour Becky Wasserman Selection. Le journaliste du Wine Advocate, Antonio Galloni, lui, surprenait tous les dégustateurs avec une comparaison à l’aveugle entre des Barolo italiens et des Pinots Noir bourguignons. Impossible parfois de distinguer les deux cépages!
En 2012, c’est Eric Asimov, le célèbre journaliste du New York Times, qui est venu à San Francisco pour présenter une conférence sur le poids des traditions et les changements en Bourgogne. Les vignerons David Duband, Jean-Marie Fourrier et Etienne de Montille faisaient partager leurs expériences et leur ressenti.

Des successions familiales toujours compliquées

Pour Eric Asimov, le changement de génération est un des moments les plus intéressants dans la vie d’un domaine, mais c’est aussi un moment dangereux. Rien n’est joué pour le fils ou la fille qui reprend le flambeau et de nombreuses difficultés s’accumulent.


David Duband, du domaine éponyme à Gevrey, a, lui, eu une transition aisée: «Pour moi, ça a été plus facile de succéder à mon père, il ne faisait pas de vin! Mais j’ai rencontré d’autres difficultés: jeune, j’ai eu du mal à trouver mon style, je manquais de repères.» Son père ayant toujours vendu son raisin à une coopérative depuis la fin des années 60, David reconnait avoir peiné à le convaincre de mieux travailler les vignes. «Quant à l’achat d’une table de tri, il m’a traité de fou mais je dois reconnaître qu’au bout de 15 ans, il a arrêté de surveiller mon travail car il en a vu le résultat», confie-t-il avec un sourire. Ce qui n’a pas été le cas de Jean-Marie Fourrier (Domaine Fourrier à Gevrey-Chambertin) qui raconte combien reprendre le domaine n’a pas été aisé. «Il était très frustrant de ne pas arriver à échanger davantage avec mon père. Pour chaque minuscule changement que j’entreprenais, c’était la même ritournelle:‘on n’a jamais fait les choses comme ca!’, me répétait-il». Jean-Marie Fourrier décide alors de prendre un peu de distance en partant 8 mois en Oregon. «Avoir de nouvelles perspectives sur le Pinot Noir a été très enrichissant. Mon père a eu tellement peur de ne jamais me voir revenir qu’en 1994, quand je suis rentré, il m’a totalement donné les rênes du domaine… Enfin tant que je le laissais conduire son tracteur… C’est toujours le cas d’ailleurs!». Jean-Marie Fourrier pointe une autre grande difficulté: les droits de succession. «Quand mon grand-oncle a acheté le Clos St Jacques aux enchères en 1956, il a pu rembourser ses dettes avec son premier millésime, tandis qu’aujourd’hui 40 à 60 ans sont nécessaires au bas mot!Avec 33 % de taxes, il faut racheter le domaine toutes les trois générations, c’est absurde. »

Etienne de Montille: son héritage, un vrai défi!

Pour Etienne de Montille, du Domaine De Montille à Volnay, la succession a été particulièrement compliquée, comme l’avait montré le film Mondovino de Jonathan Nossiter. Hubert de Montille, ancien avocat, vigneron charismatique et figure emblématique de la Bourgogne, n’y était pas tendre avec son fils. Etienne préfère en sourire: «C’est sûr que je n’ai pas manqué de critiques!». Et d’insister sur la qualité du travail de son père. «Le vin demande de la continuité, les successions sont rarement des révolutions mais plutôt des évolutions. En matière de vinification, je n’ai rien changé les 5 premières années, ensuite cela a été très progressif. Ce n’est qu’à partir du millésime 1998 que je peux dire qu’il y a plus d’Etienne que d’Hubert dans la bouteille!» Faire du vin dans une région historique, acclamée internationalement et où la spéculation fait rage autour de certains crus, peut se révéler assez difficile pour un jeune vigneron. «Vos prédécesseurs vous challengent, et votre vision du vin n’est pas forcement la même que la leur» précise Etienne de Montille. Trouver son style tout en respectant le travail de ses aînés, la transition d’une génération à l’autre semble être, dans tous les domaines, un moment plein d’émotions.

Claire Morin-Gibourg

Eric Asimov, David Duband, Jean-Marie Fourrier et Etienne De Montille. Plus d’une centaine de dégustateurs américains avait fait le déplacement.