Je m'identifie

Vins d’Allemagne de l’Est : un retour aux forts ceps

09/10
Monde
Monde Allemagne



Le vignoble en terrasses de Saale-Unstrut, ici à Freyburg, dominé par le château de Neuenburg. Après 1990, les murs ont été restaurés,

mais sans remembrement comme dans certains vignobles ouest-allemands. © Weinbauverband Saale-Unstrut

20 ans que le Mur est tombé. Certains vignerons de Saale-Unstrut et de Saxe, partis de zéro, refont parler de leur vignoble. Chapeau bas !

A l’Ouest de l’Allemagne, on doutait d’un retour possible de la qualité dans ces vignobles les plus septentrionaux et orientaux du pays : la Saale-Unstrut et la Saxe. Tradition viticole trop récente ? Le vignoble de la Saale-Unstrut est millénaire et celui de Saxe fêtera ses 850 ans lors du grand jubilé de 2011. Terroir médiocre ? Si le climat rude détruit parfois 20 à 90 % de la vendange (1997, 2009), le plus souvent les étés chauds et ensoleillés compensent la rigueur de l’hiver et la vigne se plaît sur les coteaux escarpés exposés au sud, fréquemment en terrasse : calcaires ou gréseux des vallées de l’Unstrut et de la Saale ou granitiques de l’Elbe.

Comme les hommes,
les vins devaient se ressembler

Non, l’obstacle, c’était bien, pendant plus de 40 ans, l’ancienne RDA qui produisait, certes, du vin, oui, mais… «Dans ce système socialiste, tous les hommes devaient se ressembler, les vins aussi !» regrette Thomas Herrlich, vigneron à Meissen (Saxe). Les coopératives d’état imposaient les cépages, le style du vin, souvent marqué par le bois. « Pas de terroirs ! » poursuit Thomas. Chacun des 5 à 6.000 vignerons d’alors, « de Pirna à Diesbar Seuβlitz aux portes de Dresde, soit 40 km, apportait ses raisins à la coopérative d’état qui élaborait un unique vin par cépage ! Il y avait très peu de technique et d’expérience.» résume Peter Bohn, Directeur Marketing du Domaine Schloss Proschwitz (Saxe). Les vins étaient vendus en haute gastronomie ou dans les hôtels internationaux. « Nous en consommions aussi… illégalement ! » s’amuse Thomas Herrlich.

Contes de fées… et travail acharné

La dictature n’a pas eu raison de la passion de Thomas. Depuis l’arrière-grand-père Vincenz Richter, chaque vigneron jusqu’à lui portait ce nom. Thomas étudie la chimie des boissons à Dresde et se lance « nach der Wende » (après le tournant), comme on dit ici pour évoquer plus largement la chute du Mur. Il baptise son domaine Vincenz Richter et relance le restaurant familial (depuis 1873) du même nom. « J’ai commencé avec 500 litres. C’était grisant, il n’y avait pas de lois. Le vin se vendait sans marketing. Aujourd’hui, nous produisons 120.000 litres sur 9 hectares… mais l’administration est pesante ! »

Thomas Herrlich et son terroir en terrasses à granite/syénite de Kapitelberg, exposé plein sud et dominant l’Elbe.

Non loin de là, dans le petit village de Zadel, c’est un autre conte de fées : le prince Georg zur Lippe, dont la famille avait été expulsée à l’Ouest, a racheté le domaine familial après la chute du Mur, puis le château en 1997: 10 M € d’investissements sur les dix dernières années... et la force des bras ! Le château est réservé aux manifestations et proposera des chambres d’hôte. Une ancienne ferme délabrée de Zadel a été restaurée pour abriter d’abord le chai puis les bureaux, des chambres d’hôte et enfin un restaurant gastronomique. L’entreprise (toutes activités confondues) emploie désormais 65 personnes.


Andre Gussek et son fils Thomas. Du temps de la RDA, en Sachsen-Anhalt, la densité était de 3.000 pieds à l’hectare, 4.000 aujourd’hui, ce qui, avec la météo, explique les rendements plus faibles : « 50 - 60 hl/ha (ndlr : jusqu’à 90), alors qu’on est plutôt à 100 en Allemagne »

A Naumburg, célèbre pour sa cathédrale, Andre Gussek, après un diplôme d’ingénieur en technologie boissons à Berlin-Est, devient, dans les années 1980, maître de chai à la Volkseigenesgut Weinberg (Vignoble de la Propriété du peuple). En 1986, on l’autorise à cultiver 360 ceps de vignes. C’est le début de son affaire : « nach der Wende » et jusqu’en 2001 il travaille dur, le matin pour lui, l’après-midi et le soir pour la coopérative. Désireux d’apprendre, il fait un séjour en Bourgogne. Aujourd’hui, le domaine compte 8 hectares de terroirs différenciés : le Dachsberg (calcaire coquillier) argileux et ses vignes de Sylvaner de plus de 80 ans, puis les Sonneck, Steinmeister et Göttersitz.

Une foule de cépages dominés par les blancs

Aujourd’hui, le vignoble de Saale-Unstrut fait 705 hectares. En Sachsen-Anhalt, 185 hectares sont exploités par des vignerons indépendants ayant pour moitié une activité annexe, 46 hectares par le Landesweingut Kloster Pforta (Etat), 242 hectares par des entreprises agricoles dotées aussi de vergers et 142 hectares par des vignerons récoltants. 30 cépages donnent à 80 % des vins secs mais aussi demi-secs, moelleux ou liquoreux. Les blancs totalisent 73% des surfaces. Parmi eux, le Müller-Thurgau (25%) est roi, cépage allemand par excellence qui, avec un rendement maîtrisé, donne des vins aromatiques et nerveux. Suivent le Weiβburgunder (Pinot blanc) (17%) dont l’ampleur (élevage plus long et fréquent en barrique) surprend un habitué des Pinots blancs alsaciens, le Sylvaner (11%) ou le Riesling (10%).


Comme souvent en Allemagne, les vignerons tiennent aussi un restaurant.
Celui des Pawis à Zscheiplitz (Saale-Unstrut), est une ancienne ferme domaniale restaurée.

Les autres principaux cépages blancs sont le Kerner, hybride de Trollinger et Riesling, moins noble et plus riche en sucre que le Riesling, le Grauburgunder (Pinot gris), le Traminer (Gewurtztraminer), le Bacchus, croisement entre un Sylvaner-Riesling, un Müller-Thürgau et le Gutedel (Chasselas). En rouge (27% des surfaces) dominent le Dornfelder (26 %), cépage allemand qui donne des vins à la robe presque noire, fruités et à boire jeunes - sauf à être élevés en fût après rendement raisonnable - et le Portugieser (24 %). Ce dernier, originaire d’Autriche malgré son nom, est courant en Allemagne et donne un vin souple et léger, longtemps l’unique vin rouge de RDA. On trouve ensuite le Spätburgunder (Pinot noir) (16 %), le Blauer Zweigelt, trop plat si le rendement est trop élevé, et le Lemberger, donnant des vins pâles et légers. Les meilleurs domaines sont ceux d’Andre Gussek, Landesweingut Kloster Pforta et de deux membres du Verband der Deutschen Prädikat (VDP) qui regroupe 200 producteurs de vins de qualité : Bernard Pawis et Uwe Lützkendorf.


Bernard Pawis : « Après un diplôme d’ingénieur viticole à Radeburg, je travaillais à la cave de la coopérative d’Etat… et faisais du vin chez moi ! Mes parents étaient vignerons amateurs avec 0,5 hectares et tenaient un café-restaurant. J’ai repris et agrandi le domaine (11 hectares), fait construire une cave… puis une autre plus grande. »

Le vignoble de Saxe s’étire le long de l’Elbe sur 432 hectares, dont 160 exploités par la coopérative viticole (2.000 vignerons privés), 91 par le Schloss Wackerbarth (Etat), 87 hectares par le Schloss Proschwitz et le reste par 20 indépendants. 48 cépages sont cultivés dont 80 % de blancs. Dominent le Müller-Thurgau (18%), le Riesling (15%) et le Weiβburgunder (12%), suivis du Grauburgunder (9%), du Spätburgunder (8 %), des Traminer et Kerner (6%), puis du Dornfelder (5 %).
Se distinguent Vincenz Richter (Thomas Herrlich), Schloss Wackerbarth, Klaus Seifert, ainsi que deux membres de la VDP : Schloss Proschwitz et Klaus Zimmerling (le seul à l’Est de l’Allemagne en viticulture biologique).


Thomas et Heike Herrlich et leur fils Anton avec la traditionnelle bouteille de vin saxonne : « Je ne bois pas de vins boisés. Le Riesling doit être frais. »

Supériorité des blancs

A la dégustation, les rouges manquent fréquemment de matière, d’où un recours souvent trop prononcé à l’élevage en barriques. « Avec 1.700 heures d’ensoleillement par an, une température moyenne de 9,3° C et des rendements de 60 hl/ha, on n’a pas assez d’alcool, de structure ni de fruit.», reconnaît Jörg Fiedler, assistant commercial au Schloss Proschwitz. Thomas Herrlich n’a laissé que 8 % de ses surfaces en Spätburgunder : «Il faudrait 20 hl/ha en rouge pour faire de bons vins.», ce qui n’est pas viable, bien sûr. Mieux vaut donc choisir ses rouges dans les bonnes années : 2003, 2005 (Sachsen-Anhalt), 2003 et 2006 (Saxe). Pour les blancs, les meilleurs domaines, lorsqu’ils ne boisent pas trop leurs vins et maîtrisent l’apport de levures (les levures naturelles sont très rarement exclusivement employées), rivalisent désormais avec les vins de l’Ouest de l’Allemagne ou d’Alsace.


Les vignes du Schloss Proschwitz et la cathédrale de Meissen sur la route des vins de l’Elbe, inaugurée en 1992.

Les meilleurs vins se vendent localement et de plus en plus dans toute l’Allemagne : privés, restauration, cavistes, peu dans les GMS. Pour le Schloss Proschwitz, tous les négociants en vins (40 % des ventes) se sont déplacés au domaine. A vous de déguster : Prosit !

Frédéric Ville
Voilà ce qu’il fallait faire un peu partout à la chute du Mur. Ici bureau et chambres d’hôtes du domaine Schloss Proschwitz. © Schloss Proschwitz

Dégustations (notes / 20)

Weingut Vincenz Richter Meiβner Kapitelberg :

Riesling QmP1 Spätlese2 2008. Bouqueté aux notes beurrées.
Légèrement perlant, belle acidité, presque rond. 15,5. 12 €

Riesling QmP Auslese3 2003. Doré, notes de beurre fermier,
garde encore un peu de perlant, belle acidité,
beaucoup de gras. 15,5. 18,50 €

Traminer QmP Spätlese 2007. Très aromatique,
notes d’acacia, ample. 16,5. 12,50 €


Schloss Proschwitz

Müller-Thurgau QbA4 trocken 2009. Nez d’agrumes et d’acacia.
Belle acidité, très équilibré. 16. 9,50 €

Grauburgunder QmP Kabinett trocken 2009.
Nez de brioche. Perlant. Belle acidité, racé. 14. 11,50 €

Spätburgunder QbA 2007. Rubis profond. Un peu trop boisé, capiteux,
nez de fruits rouges (groseille). Manque un peu de matière. 13. 22 €

Andre Gussek

Weiβburgunder QmP Spätlese 2007. Superbe nez tourbé, fumé, boisé. Ample et tourbé en bouche. 15,5. 17 €

Göttersitz Grauburgunder QmP Spätlese 2008.
Jaune pale légèrement trouble. Nez brioché. Manque d’ampleur. 12. 18 €

Cuvée LA 2008 (Spätburgunder et Blauer Zweigelt, 5 % Portugieser).
Rouge vermillon, capiteux, équilibré, un peu trop boisé,
manque un peu de matière malgré les 30 – 40 hl / ha. 13. 19 €


Bernard Pawis

Dornfelder « Reni » QbA trocken 2008. Belle couleur sombre.
Nez boisé et fruits noirs (sureau). Sur le fruit, mais un peu trop boisé.
12,5. 17,80 €

Weiβburgunder QmP Spätlese Edelacker Grosses Gewächs5 2008.
Nez boisé, brioché et ananas. Un peu trop boisé et levuré en bouche.
A carafer. 12. 19,80 €

Müller-Thurgau QbA 2009 trocken.
Nez de brioche et de pamplemousse. Racé, nerveux et perlant. 15. 8 €.

1 - Qualitätswein mit Prädikat: vin de qualité classé en 6 catégories croissantes de maturité:
Kabinett, Spätlese, Auslese, Beerenauslese, Trockenbeerenauslese et Eiswein.

2 - Vendanges tardives.

3 - Issu de grappes sélectionnées et vendangées tardivement pouvant donner des vins doux ou secs comme ici.

4 - Qualitätswein bestimmter Anbaugebiete: vin de qualité de région délimitée. La chaptalisation est autorisée.
Vins ordinaires mais parfois choisis pour plus de liberté.

5 - Edelacker: champ noble; Grosses Gewächs: Grand Cru (classification VDP).