Abi Duhr est de ces personnalités du monde du vin dont on ne parle que trop peu.
D’un naturel discret, toujours souriant, voici le portrait d’un vigneron,
pointure du Luxembourg et internationalement reconnu.
La famille Duhr y occupe une place centrale depuis des générations au Luxembourg. Le parcours d’Abi Duhr est singulier. Ses études en œnologie l’emmènent à partager son temps entre Geisenheim et Bordeaux. Sa vision de la vinification y sera enrichie par ses amis Denis Dubourdieu et Paul Pontallier (Château Margaux). Ainsi, dès 1982, il se lance dans l’élevage en barriques et pratique aussi bien des cuvées en monocépage qu’en assemblage. Dans la foulée, il participe à la création du label « Domaine et Tradition » et se fait une réputation l’emmenant à devenir membre du Grand Jury Européen et consultant pour de nombreux domaines. Cette singularité de parcours lui permet de bénéficier du meilleur de deux mondes que certains opposent : d’un côté l’influence nord européenne monocépage, et de l’autre la culture bordelaise basée sur l’assemblage.
Pour illustrer ces propos rien de mieux que de découvrir sa propriété !
« Nous cultivons, avec ma fille Laurence, 11 ha de vignes qui se trouvent dispersées dans la vallée de la Moselle sur une longueur de 40km. La vigne la plus éloignée se trouve à Schengen, village où l’accord de Schengen a été signé ».
On retrouve près d’une vingtaine de cuvées sur de nombreux cépages, différents terroirs, et avec différentes techniques de vinification. Du riesling majoritairement, mais aussi pinot gris, pinot blanc, pinot noir… ou encore l’elbling. Un cépage qui serait cultivé au Luxembourg depuis l’époque romaine.
Ainsi, la cuvée Riesling Vieilles Vignes est un monocépage d’une envergure exceptionnelle avec des vignes plantées en 1943. Élevage en cuve inox et fermentation uniquement à partir des levures indigènes. La typicité du riesling y est parfaitement retranscrite, tout comme le terroir argileux en surface, et calcaire en profondeur. La fin de bouche du 2019 offre notamment un savant équilibre entre de subtiles notes épicées, un côté iodé et un joli jeu sur les amers, venant apporter un vent de fraîcheur supplémentaire.
La cuvée Fossiles est au contraire un assemblage de terroirs et de cépages, du pinot blanc avec un peu d’auxerrois et chardonnay, sur un élevage en barriques, dont environ 20 % de neuves. Cet élevage très mesuré se retrouve de manière harmonieuse en fin de bouche sur le 2021, participant à la complexité du vin, mais sans jamais masquer la délicatesse du fruité.
Dès lors, on comprend facilement sa réponse lorsqu’on le questionne sur ses motivations : « J’adore les millésimes challenge, des millésimes décriés déjà avant les vendanges par les confrères. Dans ces millésimes-là, on peut se défouler ».
Et ce challenge s’illustre parfaitement avec la cuvée Raisins dorés. Les vignes furent reprises en pleine pandémie avec l’objectif de s’attacher à retranscrire les variations de l’elbing sur un sol argilo-calcaire.
« L’elbling élevé de manière intelligente en barriques donne un style de vin qui me rappelle certains Chablis et Bourgogne Aligotés. Pour la gastronomie, huîtres et caviar se marient très bien avec ».
Sur le 2020 cette proposition prend tout son sens avec une fin de bouche mettant en lumière le travail sur les lies tout en ayant un côté sapide, surlignant de très belle manière le caractère iodé des huîtres.
Aujourd’hui encore, il est de ces irréductibles qui, chaque année, viennent déguster les vins en Primeurs à Bordeaux. Une quête d’apprentissage continue, combinée à un suivi de l’évolution des propriétés dont il a acquis une connaissance que beaucoup de critiques pourraient lui envier. Au fil des échanges avec Abi Duhr, ce véritable passionné se livrera tel un vin par différentes strates et sans jamais surjouer. Quel grand vin !
Xavier Lacombe