Une journée ensoleillée de fin septembre, les vendanges 2017 dans le Bordelais sont bientôt terminées. Nelson Chow, président de l’Association des sommeliers de Hong Kong et de Chine accompagné d’une dizaine de sommeliers de Hong Kong, visite quelques grandes références du Médoc. Une première pour la plupart de ces jeunes professionnels, déjà bons dégustateurs et connaisseurs mais désireux de mieux appréhender la diversité des vins de Bordeaux et pouvoir ainsi en parler à des consommateurs chinois de plus en plus avertis.
Première visite, le Château Bernadotte, propriété d’Antares Chen, PDG du groupe hongkongais King Power Group, après avoir appartenu de 2008 et 2012 au Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande (Groupe Champagne Roederer). Un domaine de 62 hectares et une charmante demeure datant de 1860 dont le nom Bernadotte est étroitement lié à la couronne de Suède.
Son vignoble de 45 hectares s’étend sur un magnifique terroir de sols gravelo-sableux et argilo-calcaires, à prédominance de Cabernet avec une densité de plantation de 10 000 pieds/hectare identique à celle de ses prestigieux voisins Grand Crus Classés. Et chose étonnante pour nos sommeliers : la carte de l’ADN des sols de chacune des parcelles que leur montre Guillaume Mottes, directeur du château, véritable outil de conduite du travail de précision mené dans les vignes. Autre sujet d’intérêt : les vendanges non plus manuelles mais mécaniques avec une machine à vendanger de dernière génération dans laquelle la propriété a investi il y a deux ans. Elle ne ramasse que les baies de raisin mûres et avantage non négligeable, elle permet une parfaite adaptabilité à la récolte tout en respectant les pieds de vigne. Les vinifications traditionnelles se font dans un cuvier inox avec une particularité, des cuves d’assemblage en sous-sol, garant de la constance de la qualité du vin entre la première et la dernière bouteille.
Côté vins, Guillaume Mottes a choisi de faire déguster des millésimes emblématiques des différentes époques de Bernadotte. D’abord un Château Bernadotte 2005, reconnu comme très classique aux tanins prononcés, puis un 2010 vinifié par l’équipe de Roederer où l’on note une évolution vers plus de fruit et de soyeux. Le 2012 est quant à lui marqué par une nouvelle étiquette sur laquelle le blason royal devient un vrai signe distinctif, élément d’importance pour le consommateur chinois sensible à l’habillage des produits. Autres millésimes dégustés : le 2013, plus classique au nez, et le 2014, premières pierres à l’édifice posées par la nouvelle équipe du domaine sous le conseil d’Hubert de Boüard afin d’élever la marque Bernadotte au rang qu’elle mérite. Une dégustation découverte pour nos sommeliers dans une propriété où, comme le conclut Guillaume Mottes, « la prise de risques est permanente pour pouvoir rester très bon dans chaque millésime ».
Deuxième étape de cette journée médocaine, le Château Lascombes, l’un des plus vastes vignobles des Crus Classés de 1855 avec 112 hectares de vignes en appellation Margaux. Un domaine marqué par l’empreinte des dix générations de propriétaires qui se sont succédé du 17e siècle à nos jours et reconnaissable à l’élégante silhouette de son imposant château. Château où nous sommes accueillis pour une dégustation en verticale des millésimes 2005 à 2010 avant de découvrir le 2016 de Lascombes (2ème Grand Cru Classé - Margaux) et menée par Nelson. Celui-ci insiste sur la complexité de ces vins où finesse et moelleux se conjuguent en bouche avec de fins tanins ; et si leur préférence se porte sur le 2005, nos sommeliers apprécient le caractère et le style de ce très grand vin à travers ses différents millésimes.
Pendant que nous dégustons, une matinée de vendanges s’achève et offre l’occasion de partager ensuite avec Dominique Befve, directeur général de Lascombes, le déjeuner des vendangeurs (une centaine de personnes). Un moment de convivialité et de discussion autour des transformations qui ont été menées depuis 2001, année de la reprise du Domaine par le groupe Colony Capital puis par la MACSF en 2011. La restructuration du vignoble (50 % Merlot, 45 % Cabernet Sauvignon et 5 % Petit Verdot) pour une parfaite adéquation entre sols, cépages et porte-greffes, la réduction des rendements, une restructuration du cuvier pour respecter le parcellaire, trois étapes de tri dont un tri optique pour les vendanges, une macération pré-fermentaire à froid pour l’obtention d’une couleur plus intense et une meilleure complexité aromatique, des dégustations quotidiennes pendant toute la macération post-fermentaire… Le tout sous l’œil avisé de Michel Rolland, œnologue conseil.
Derniers travaux en date : l’ouverture l'été d’un nouvel espace Boutique pour l’accueil du grand public. Château Lascombes est un bel exemple pour ces sommeliers d’une grande propriété de tradition médocaine et résolument tournée vers le futur pour des vins d’excellence.
Entre Pauillac et Margaux, Saint-Julien Beychevelle, ses 11 crus classés dont le Château Talbot, propriété de la famille Cordier depuis 1917. Nous sommes en appellation Saint-Julien sur un terroir très homogène de 900 hectares de vignes le long de l’estuaire de la Gironde. Château Talbot en occupe 110 dont une superficie très confidentielle de blanc (5 ha). Les vendanges des Cabernets se poursuivent. Une opération attire l’attention de nos sommeliers : le tri des baies de raisin par gravitation sur une table Tribaie Amos de plus de 7 m de long et dont seule une trentaine de propriétés sont équipées à Bordeaux.
Suite de la visite, le cuvier bois utilisé pour les vinifications des meilleurs raisins, évocateur mais surtout un choix technique assumé. Et enfin, tel que décrit par Nelson Chow, « l’impressionnant et spectaculaire » chai à barriques, prouesse architecturale avec ses immenses poteaux en béton tels une forêt d’arbres et pouvant accueillir 1 800 barriques dans des conditions optimum d’élevage.
Pour la dégustation, Jean-Pierre Marty, directeur général, propose une verticale de Château Talbot (Saint Julien – 4ème Grand Cru Classé en 1855) 2005 – 2015. Mais chose peu courante, nous commençons par le 2015. Même si pour un sommelier l’ordre importe peu, Jean-Pierre Marty « préfère commencer par les millésimes les plus faciles pour mieux se préparer à déguster les plus anciens ». Une remontée dans le temps pour apprécier le style caractéristique de ce très grand Saint-Julien avec des tanins souples et soyeux et une fraîcheur aromatique que l’on retrouve très présente dans les millésimes les plus anciens comme le note Nelson sur le 2005. Cette verticale est une pratique de dégustation qui intéresse beaucoup nos jeunes sommeliers pour apprendre à différencier les millésimes et mesurer le travail fait sur chaque vin. Comme les assemblages avec l’apport du Petit Verdot, 3 à 5 % selon les millésimes, ou la typicité des 200 barriques utilisées pour chaque millésime du grand vin (cinq à sept tonneliers et une dizaine en essai chaque année) pour ne citer que ces deux exemples. Le temps d’une photo devant la belle maison de Nancy Bignon Cordier et nous reprenons la route vers Margaux.
Une fin d’après-midi de septembre… Le soleil commence à décliner sur les vignes de Margaux, la beauté et la quiétude du lieu sont saisissantes. Et c’est au milieu du ravissant jardin devant la demeure 17e (reconstruite en 1904 après un incendie) que nous faisons connaissance avec le Château Rauzan-Ségla, propriété de la maison Chanel. 72 hectares de vignes des quatre cépages bordelais à prédominance de Cabernet Sauvignon, en « puzzle, mosaïque ou patchwork » et dont le cœur du vignoble se situe sur la fameuse Terrasse 4, une large bande de graves enfoncées dans une fine couche d’argile au sol pauvre et drainé naturellement. De ces vignes proviennent les raisins avec lesquels est élaboré le grand vin, et autour, des parcelles satellites sur des sols de nature différente et parfaitement recensées. De cette diversité des sols et des cépages travaillée dans le parfait respect des terroirs naît la complexité des vins de Rauzan-Ségla que nos sommeliers vont découvrir avec la dégustation de trois millésimes, le Château Rauzan-Ségla (Grand Cru Classé-Margaux) 2010, 2006 et 2005, avec Nicolas Audebert, directeur général. L’occasion aussi d’aborder ce que doit être la parole du sommelier à ses clients lorsqu’il leur fait découvrir un vin : non pas un descriptif technique mais sa perception du domaine et ses propres émotions. Eléments d’autant plus importants que le vin en Chine fait désormais partie des achats que l’on fait pour soi par un consommateur féru d’histoires, de conseils… et d’Internet.
Justes structure et élégance, diversité des arômes, velouté et soyeux des tanins, fraîcheur et valeur de garde sont quelques-unes des qualités notées par Nelson pour ce grand vin, emblématique de son appellation Margaux et autre très belle découverte pour nos sommeliers.
Dernière étape de cette journée dans le Médoc, une dégustation et un dîner convivial au Château Clauzet en appellation Saint-Estèphe. Nous sommes chez Maurice Velge dont l’aventure Château Clauzet et Château de Côme qui démarre en 1997 est la concrétisation d’un vieux rêve, celui de « donner corps à cette passion » qu’est le vin. De 10 hectares en production à ses débuts, la propriété en fait aujourd’hui 30 (23 pour Clauzet et 7 pour de Côme) à côté des plus grands. Recherche de l’excellence des terroirs de Saint-Estèphe et mise en place de tous les éléments de qualité dévolus aux plus grands crus du Médoc ont dicté le travail mené par Maurice Velge et son équipe depuis 20 ans. C’est d’ailleurs José Bueno, l’homme du vignoble et du vin de Clauzet, à la solide expérience puisqu’ancien maître de chais des châteaux Clerc Milon et D’Armailhac qui nous accueille. Et nous allons non plus parler de techniques mais d’une philosophie de production puisque pour José « la qualité finale d’un vin est l’aboutissement d’une longue succession de gestes minutieux, à la vigne comme au chai ». Le travail de la vigne d’abord basé sur la compétence d’une équipe très qualifiée et de ses observations permanentes sur le terrain, des vendanges manuelles pour la parfaite maturité des raisins parcelle par parcelle, des vinifications sur-mesure dans un cuvier béton à la recherche du parfait équilibre, un élevage adapté à la spécificité de chaque millésime ; le tout dans la parfaite maîtrise de l’intervention.
La preuve de cette recherche d’excellence est tangible à la dégustation. D’abord le Château de Côme (Saint-Estèphe) avec les millésimes 2008 et 2015. Une dominante Merlot dans ses assemblages. Une très belle fraîcheur et des arômes de tabac notés sur le 2015. Puis le Château Clauzet (Saint-Estèphe) à prédominance Cabernet Sauvignon, en 2008, 2012 et 2015, des beaux exemples d'équilibre et l’unanimité des dégustateurs sur le 2008 pour un magnifique accord mets et vins avec des plats chinois souvent un peu riches. Et la journée se termine dans la salle à manger de M. Velge autour d’un convivial dîner… de tradition française.