Les jardins secrets du sommelier Bouliac (Gironde)
RICHARD BERNARD SOMMELIER DE CŒUR
Deux prénoms pour un sommelier. À première vue, on a du mal à l’imaginer en maître de cérémonie bachique. On le sent modeste, effacé, même un peu pudique. C’est peut-être son jeu, tant le bonhomme que l’on apprend vite à connaître fait place à la sincérité et à l’honnêteté, deux vertus qu’il positionne au-dessus de toutes.
Qu’a-t-il de particulier ce Richard ? Pas grand-chose. Erreur magistrale, car justement, ce sommelier est particulier. D’abord, il séduit par son côté sentimental teinté de nostalgie. Il aime ces bons moments passés en compagnie de son copain, le chef Michel Portos avec lequel il partage l’aventure de Bouliac au Saint-James. Richard Bernard n’a qu’un seul avis en matière de mariages mets et vins : celui que lui dicte son cœur.
Richard Bernard C’est Michel Portos qui l’appelle en 2004, deux années après son arrivée dans le Bordelais.
« Une sorte d’appel au secours » se remémore Richard Bernard, conscient que son ami Michel, inconnu à Bordeaux, éprouvait le besoin d’être entouré par une équipe solide. De 1994 à 1999, les deux hommes furent déjà complices chez Troisgros où Richard a commencé à officier après son service militaire effectué « dans un mess sans intérêt ». La machine à souvenirs se met en branle. « Pierre Troisgros nous réunissait tous les dimanches matins pour goûter les échantillons reçus dans la semaine. C’était un rituel. Un moment de joie. Puis il nous convoquait pour des tournées vigneronnes. L’inconvénient c’est qu’il fallait le conduire. Peu importe, car ces escapades étaient géniales. Un jour, dans la cave de Gaston Huet à Vouvray, ce dernier s’approche de moi en me tendant un 1917 et me dit :
«Tiens, gamin, c’est plus vieux que ton grand-père ». Je lui rétorque poliment que mon grand père était né en 1911. Un peu énervé, il est allé chercher un 1907 ! Je me souviens que nous dormions chez Jean Bardet à Tours et qu’il nous faisait manger dans sa garçonnière. Chez Troisgros, on faisait 40.000 couverts par an ! Autant vous dire que l’on bossait comme des dingues. Pendant nos heures de pauses, Michel Portos me racontait la vie des grands chefs.
On a beaucoup cherché ensemble, beaucoup partagé aussi. Ça continue de plus belle aujourd’hui. Quand il fait des essais, il me demande toujours ce que j’en pense. Et moi, de mon côté, je lui fais goûter des vins, tout en sachant qu’il n’y a pas de mariage idéal. J’ai de la chance :
«Michel adore les vignerons». Richard évoque sans s’attarder son enfance. Né à Montferrand, quartier de Clermont, il était de ceux qui préféraient le fond de la classe et la proximité du radiateur. Là, il passait son temps à dessiner des voitures. Son rêve était d’aller en Suisse, dans une fameuse école de dessins automobiles. Mais avec une maman à la Sécu et un papa chez Michelin, on ne roulait pas sur l’or et Richard finit par entrer à l’école hôtelière de Chamalières, la ville de Giscard, avec un but : se lancer en cuisine.
« J’avais un cousin éloigné, du côté de Marseille, qui répétait sans cesse quelque chose du style « Y’aura toujours du boulot en cuisine ». Au premier cours, je me suis rendu compte que ce n’était pas fait pour moi. Je trouvais ça trop compliqué.
D’ailleurs, je m’étais juré de ne jamais remettre les mains dans la cuisine, jusqu’au jour où je suis devenu l’ami de Michel Portos. Lui seul a été capable de me faire comprendre que la cuisine pouvait être abordée simplement. Maintenant, quand je vais avec ma femme Nathalie, une Clermontaise rencontrée à l’école, et mes deux jeunes garçons dans une petite maison près de Loctudy, en Bretagne, pour nos vacances, «
je n’ai pas peur de me mettre aux fourneaux. Je sais où acheter les homards et je n’oublie pas mes vins » !
Michel Portos, chef du Saint-James
Les bons tuyaux du jardin secret de Richard Bernard
• Son plus grand vin :
« Indiscutablement, le Madère et surtout ceux de la maison D’Oliveira : aucune brûlure,
de l’équilibre, de la longueur… Avec, on fait un voyage phénoménal… ». • Son Bordeaux du moment :
Le Bordeaux Supérieur de François Dubernard au Domaine du Bouscat à St-Romain-la-Virvée.
« Le vin est à l’image de l’homme. J’aime bien servir ce rouge un peu frais, autour de 14°, car cela me rappelle les émotions ressenties en le goûtant dans le chai de François. J’en bois volontiers un verre seul, comme ça, pour le plaisir, à l’apéro ».
• Son Bourgogne du moment :
« J’aime les vins de Vincent Geantet, du Domaine Geantet-Pansiot à Gevrey-Chambertin.
Que ce soit le Charmes, le Chambolle ou le Marsannay, tout est bon chez lui. Il fait des vins de gourmandise qui donnent envie de partager ».
• Son Champagne :
La cuvée qui le fait le plus
« craquer » en ce moment est l’Amour de Deutz.
« Cette bouteille me remonte le moral » ! Au bout de trois ans - et trois jours seulement de travail intense en vue de son examen -, Richard, qui s’était orienté vers la salle, finit in extremis par avoir son BTH, l’équivalent du bac pro de nos jours. Pour obtenir la mention « sommellerie », il lui faut une année de plus. La liste d’attente étant déjà bien remplie, c’est grâce à la défection de deux copains désireux de changer d’orientation qu’il passe une année avec un professeur, Pierre Pellux, qui va le sensibiliser au vin. Au cours de cette année, il se qualifie pour la finale régionale du Trophée Ruinart puis remporte le Trophée National des Vins de Bordeaux et d’Aquitaine. En 1992, une première expérience sérieuse s’offre à lui : il se retrouve commis chez Georges Blanc où le chef sommelier était Gilles Hascouët. Celui-là même qui fut sacré Meilleur Jeune Sommelier de France en 1986, concours que Richard remportera dix années plus tard. « J’avais appris à bosser et j’avais la chance d’accompagner Gilles dans le vignoble. Mon but était d’arriver à coller Gilles et je n’y parvenais jamais. Cela m’a forcé à progresser ».
Alors qu’il est bien ancré chez les Troisgros, Richard, qui avoue détester la routine et ne jamais penser aux plans de carrière, reçoit en 1999 un coup de fil d’Éric Beaumard qui, étant engagé au George V, cherchait son successeur à La Poularde. «J’en ai parlé à mon épouse et le lendemain j’ai répondu positivement. Cinq ans chef sommelier dans cette maison à la cave paradisiaque, c’était le bonheur, d’autant que j’en avais la gestion». Devenu depuis peu Bordelais, installé avec sa famille à Floirac, Richard Bernard profite à fond de la position stratégique que lui offre son poste auprès de son ami Michel Portos. L’un de ses plus beaux mariages est un Gewurztraminer liquoreux 2002 de Bott Geyl associé au caviar de Gironde sur une mousse de choux fleur agrémentée de quelques bigorneaux. Grâce à une carte éclectique qui va du Bellet à l’Alsace en passant par Gérard Gauby et les frères Foucault, «les deux plus grands vignerons de la planète», il réalise un score enviable de 43% du chiffre d’affaires rien qu’avec les liquides. «Mais la carte n’est pas très représentative. À l’heure du bilan, je constate que l’on vend 50% de Bordeaux et autant du reste du monde». Entre un saut du côté de La Rochelle et de l’île de Ré, une visite du Futuroscope, une séance de cinéma avec les enfants et sa sincère passion pour la guitare électrique – il en a quatre, dont une Gibson - il n’a pas le temps de s’enliser dans une quelconque routine. Il en oublierait presque les 13 ares de Premières Côtes de Bordeaux vinifié et élevé sous la maison de Michel Portos à deux pas du restaurant et dont il espère tirer 400 bouteilles au moins en 2007.
Michel Smith La recette de Michel Portos,
Restaurant « Le Saint James » à Bouliac
Le greuil fermier au carvi, variation autour de la carotte
Il faut le savoir : Michel Portos est un homme du Sud. Pire, il vient de Marseille ! Avant de faire les beaux jours de Perpignan, puis de Bouliac, d’où il contemple les quais de Bordeaux et sa vigne terrasse entretenue par son ami Stéphane Derenoncourt, Michel était l’homme de confiance des cuisines des Troisgros, à Roanne. Si sa cuisine paraît parfois technique et met en déroute les pisse froids, elle est aussi simplement empreinte de joie et d’amour. Amour pour les produits, du plus simple au plus noble, mais aussi un amour démesuré de la découverte et de la création qu’il souhaite partager avec le plus grand nombre : ses proches, d’abord, ses collaborateurs qu’il mène telle une vaillante équipe de rugby, et ses clients, bien sûr. La complicité qu’il a avec son chef sommelier, Richard Bernard, lui aussi passé chez Troisgros, est quasi fraternelle. Pour résumer, la cuisine de Portos serait une fête que tous les acteurs devraient partager. Cela se sent à Bouliac. Avec des accents du Sud, bien entendu. Des accents que l’on retrouve dans ce mariage étonnant entre fromage frais de brebis (le greuil) et carotte.
Les suggestions de Richard Bernard sur ce plat
Sur un tel plat, Richard ne voit que la délicatesse d’un blanc. Curieusement, il va la chercher d’abord dans le sud, là où l’on s’attend le moins à la trouver. Et son regard se tourne naturellement vers les Vins de Pays des Côtes Catalanes de Gérard Gauby et de son fils Lionel. « Le vieilles vignes 2006, assemblage de macabeu et de grenaches blanc et gris, est d’une droiture remarquable. Intensément minéral, persistant, marqué par une légère note d’agrumes, il est parfait pour ce plat ».
En deuxième choix, la pensée de Richard Bernard erre du côté de Saumur : « Je pense au Saumur blanc pour l’amplitude que déploie le chenin. Quel que soit le millésime – il lui faut tout de même entre 4 et 6 ans d’âge - il y a le blanc de Thierry Germain (Les Roches Neuves) ou celui encore plus rare de Charlie et Nadi Foucault (Clos Rougeard), tous deux sur la commune de Chacé ».
Pour 4 personnes : Greuil :
• 200 gr de greuil (fromage frais de brebis)
• 2 gr de fleur de sel
• 2 gr de basilic
• 8 tours de moulin à poivre
Mettre à égoutter pendant une heure dans un linge les 200 gr de greuil. Récupérer 125 gr de fromage égoutté, le mélanger avec 2 gr de fleur de sel, 2 gr de feuilles de basilic taillées en cubes et 8 tours de poivre du moulin. Mettre ce fromage en poche à pâtisserie avec une douille unie.
Gelée de carotte :
• 600 gr de carottes fanes
• 5 gr de graines de carvi
• 12 gr de vinaigre de Xérès
• 2 feuilles de gélatine
• Sel
Éplucher les carottes fanes. Les centrifuger afin d’obtenir 250 gr de jus et réduire de moitié au bain marie le jus de carottes. Ajouter au 125 gr de jus de carottes réduit 5 gr de graines de carvi concassées finement, les 12 gr de vinaigre de Xérès et les 2 feuilles de gélatine fondues (préalablement trempées dans de l’eau glacée). Couler l’ensemble dans une plaque froide en prenant soin d’avoir 0,5 cm d’épaisseur. Faire prendre au réfrigérateur en remuant régulièrement afin d’éviter que la matière ne se sépare.
Une fois la gelée prise tailler des cubes de 0.5 cm de côté.
Friture de carotte :
• 200 gr de carottes de créances
• ½ litre d’huile d’arachide
• Sel
Éplucher les carottes, les tailler en tronçons d’environ 7 cm et tailler ensuite une fine julienne. Blanchir 15 secondes la julienne de carottes, la refroidir rapidement, puis l’égoutter. Frire la julienne de carottes à 180° (elle doit rester orange), puis réserver sur un papier absorbant. Saler légèrement.
Décoration :
• 1 pièce de carotte fane
• 4 pousses d’épinard (ou de mâche)
• Huile de pistache
Éplucher la carotte en prenant soin de garder environ 3 cm de fanes. Tailler de fines lamelles à l’aide d’une mandoline et les plonger dans
de l’eau glacée pendant au moins 1 heure.
Présentation :
A l’aide de la poche à pâtisserie déposer un joli boudin de fromage et disposer autour quelques cubes de gelée de carotte au carvi. Égoutter la lanière de carotte fane, puis la faire briller avec un peu d’huile de pistache. Déposer un fin cordon d’huile de pistache en tour d’assiette. Déposer ensuite de la julienne frite de carotte sur le boudin de greuil et déposer la pousse d’épinard (ou mâche). Servir.
Le Saint-James
3 place Camille Hostein • 33270 BOULIAC
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