La célèbre « plus ancienne maison de vins de Champagne » a récemment fait peau neuve. Depuis 2009, elle a délaissé son village natal d’Ay pour les hauteurs d’Epernay. Là, elle a pris ses quartiers dans un magnifique hôtel particulier du XIXe au cœur d’un parc boisé de 2 hectares. Un espace à la mesure de ses besoins et de ses ambitions.
A deux enjambées de la célèbre avenue de Champagne, la maison a installé sa cuverie, à demi enterrée, riche de plus de 60 cuves dont la contenance varie de 40 à 200 hl. Car les jus sont vinifiés village par village et même parfois parcelle par parcelle. Cela pour respecter à la fois la typicité des terroirs – les raisins proviennent de plus de trente crus différents dont une majorité de premiers et grands crus – et le savoir-faire de la centaine de vignerons qui travaillent « main dans la main » avec la maison. « La vérité est dans la dégustation », rappelle Odilon de Varine, directeur général et chef de cave. « Tous les vins clairs sont dégustés à l’aveugle, et il y en a plus de cent soixante ! » Ainsi la maison Gosset vient de sortir un Blanc de Blancs, élaboré à partir des millésimes 2010 et 2011, et dont les raisins proviennent de terroirs grands crus réputés tels Avize et le Mesnil-sur-Oger, mais aussi de premiers crus tels Villers-Marmery ou Trépail.
Les cuves de vieillissement pour vins clairs sont tout aussi nombreuses, et seules les gigantesques cuves d’assemblage d’une capacité de mille hectolitres viennent rappeler que chaque année Gosset vend plus d’un millions de bouteilles, dans 80 pays.
Ce volume, digne d’une « grande maison de négoce », n’a toutefois jamais altéré la structure familiale de la marque, ni l’esprit qui l’anime depuis plus de 400 ans. Chez Gosset, on faisait du vin de Champagne avant de faire du Champagne, et l’on se considère encore comme « faiseur de vin ». « Nous assemblons les terroirs. Nous faisons du vin avant de faire des bulles », dit Odilon de Varine. « Il faut que la bulle soit au service du vin, et non l’inverse, qu’elle apporte au Champagne un support de longévité », poursuit-il. La maison recherche aussi la minéralité particulière à la craie. « La craie, c’est un peu les tanins du vin blanc », commente Bertrand Verduzier, directeur export de la Maison.
La vinification se fait en cuve inox, sur lies, et la fermentation malolactique est systématiquement évitée. C’est une marque de fabrique. « La ‘malo’ nivelle, » dit Odilon de Varine. « L’acide malique est l’acide du fruit. Si on l’élimine, on gomme ce qui caractérise le terroir. »
L’autre marque de fabrique des Champagnes Gosset est la place laissée au temps dans l’élaboration des cuvées. Le Grande Réserve Brut non millésimé de la maison, élaboré à partir des trois cépages, passe un minimum de trois ans sur lattes. Le Grand Millésime 2006 en a passé huit. Au printemps 2016, la maison a commercialisé une cuvée spéciale « 15 ans de cave à minima ». C’est un assemblage de Chardonnay (60 %) et de Pinot Noir (40 %), dosé à 7 grammes, qui a en vérité passé plus de seize ans sur lattes. Car les bouteilles furent mises en cave en 1999. C’est en quelque sorte la dernière cuvée du vingtième siècle.
A travers cette bouteille, il y a chez Gosset la volonté non seulement de viser l’excellence et des vins alliant plénitude et fraîcheur, mais il y aussi le souci, non dissimulé, de « casser les codes ». De travailler l’âge et non les millésimes. Du coup, la chronologie n’est pas forcément respectée dans la commercialisation des cuvées « vintage ». Cela dépend de l’aptitude des vins à vieillir. Odilon de Varine avoue rêver à une gamme de Champagnes qui jouerait sur la date des dégorgements et du vieillissement post dosage. « Les Champenois sont les vrais spécialistes du vieillissement », affirme-t-il un brin provocateur. « La frontière entre brut sans année et millésime n’est pas immuable. »
Gérald Olivier