Pourriez–vous définir ce qu’est pour vous l’esprit Veuve Clicquot ?
En tant que responsable œnologie, ce qui définit pour moi l’Esprit Clicquot est la cuvée Carte Jaune. C’est la cuvée la plus emblématique de la maison. Elle est la synthèse de l’esprit et de la culture Veuve Clicquot. C’est la cuvée signature en quelque sorte. C’est aussi la plus difficile à élaborer. L’assemblage, avec sa dominante de Pinot Noir, porte la marque de la maison. Ensuite la cuvée contient un petit tiers de Chardonnay qui va apporter élégance et fraîcheur, et une touche légère, mais indispensable, du très beau Pinot Meunier qui va apporter la gourmandise et la rondeur.
Carte Jaune est élaboré à partir de soixante-dix ou quatre-vingt crus, pour vous donner une idée de la richesse de l’assemblage. C’est sa dimension horizontale. Mais il possède aussi une dimension verticale car Carte Jaune accorde une grande place aux vins de réserve. Il peut y en avoir de cinq ou six millésimes différents et ils peuvent représenter jusqu’à 55 % de l’assemblage. Il y a chez Veuve Clicquot une vraie culture de l’élevage, avec le respect du cépage, du cru et du millésime. Nous avons une « cuvothèque », c’est-à-dire une réserve de vins clairs, parfois très anciens, qui attendent tranquillement que leur heure soit venue. Je compare souvent leur rôle à celui des épices en cuisine. Une simple touche peut faire la différence par les subtilités qu’elle va révéler dans le reste de l’assemblage. Ainsi j’ai toujours une cuve de Cramant 1988 qui servira un jour à apporter cette petite touche d’épice à Carte Jaune.
Au-delà de l’assemblage, que pouvez-vous nous dire de la vinification et de l’élevage?
Chez Veuve Clicquot à partir du moment où la fermentation malolactique a été identifiée, elle a toujours été effectuée. Mon souci est la pérennité du style, donc oui, je pratique la « malo ». Pour ce qui est de l’élevage, nous n’utilisons pas de bois chez Clicquot, sauf pour les cuvées Vintage. En 2007, Dominique Demarville, notre Chef de Cave, a acheté des foudres de 50 à 70 hectolitres où l’on vinifie désormais des vins destinés à constituer 10 % de l’assemblage des cuvées Vintage et apporter juste une petite note de sucrosité et d’onctuosité.
Concernant Carte Jaune, tout ce travail, horizontal et vertical, donne un Champagne pour amateurs de Champagne. Il faut une certaine éducation au vin pour apprécier notamment ses notes finales et surtout les amers positifs qui caractérisent la fin de bouche. Sur l’ensemble, c’est un grand Champagne, sans être extrême, car la puissance des Pinots est équilibrée par la finesse et la fraîcheur du Chardonnay.
En 2010 vous avez introduit la gamme Cave Privée, quelle était l’objectif ?
Il s’agissait de célébrer le bicentenaire de la première cuvée millésimée élaborée en 1810, et nous avons décidé alors d’offrir à nos clients les plus fidèles, les plus «clicquotphiles », la possibilité d’entrer dans notre œnothèque en leur proposant un produit de collection marqué par son aptitude au vieillissement. Le premier millésime était le 1980, dégorgé en 1986 dont certaines bouteilles avaient donc vieilli vingt ans de plus. Cette double maturation, la première sur latte, la seconde sur bouchon, apporte une rare harmonie au vin, ce qui fait de Cave Privée une gamme exceptionnelle.
Que pouvez-vous nous dire de la récolte 2016 ?
Je suis satisfait et soulagé. Nous avons eu une très belle fin d’été et une arrière-saison exceptionnelle qui a permis au raisin de mûrir, après un début de cycle végétatif alarmant. Certes les volumes sont en déficit de 25 % par rapport aux niveaux habituels, mais la qualité est là et l’état sanitaire des raisins est irréprochable. D’après les premières dégustations, nous aurons de grands Pinots Noirs
Qu’est-ce donc pour vous qu’un grand Champagne ?
Un grand Champagne pour moi c’est simplement un Champagne dont on dit « tiens, j’ai déjà fini mon verre, j’ai envie d’en prendre un deuxième. »
Propos recueillis par Gérald Olivier